Les projets de développement des lanceurs russes: haut degré d’unification
Dmitry Rogozine, a publié le 12 avril, un schéma des projets de développement des lanceurs russes dans les 10 prochaines années. Rien de fondamentalement nouveau par rapport à ce que nous savions déjà (voir ici).
Et justement, c'est un point fort. Après des années d'hésitations, de changement de choix, les projets en matière de lanceurs semblent maintenant stabilisés, et il faut le dire, cela depuis que Dmitry Rogozine est arrivé à la direction de Roscosmos où il mène une politique de réorganisation et de rationalisation soutenue de l'industrie spatiale russe. C'est assurément le gage d'un retour dans les années futures à la compétitivité russe sur le marché des lanceurs.
La grande idée est de maximaliser l'unification des développements et de la production à tous les niveaux: moteurs, étages de lanceurs, blocs d'injection, et, bien que cela sorte du cadre de cet article, des plateformes des satellites. Il ne s'agit pas qu'il n'y ait qu'un type de lanceur bien sûr, mais que de nombreux éléments soient utilisables dans différents types: on rationalise ainsi les coûts de développement et de production, on augmente les séries, on fiabilise les productions.
C'est une tâche ardue, dans une industrie héritée de la période soviétique (le coût n'était pas forcément un critère déterminant et les rivalités technologiques vives) et aussi de la période de collapsus économique qui a suivi la disparition de l'URSS.
Décrivons ce diagramme.
En haut, à gauche: un texte qui indique quels moteurs, peu nombreux, seront utilisés, sur les lanceurs:
- pour les premiers étages: RD191, RD180 et RD171MV, soit 3 moteurs.
- pour les étages supérieurs: 14D23, RD0124A et 14D23MS (il n'y a réellement que 2 types de moteur car les deux premiers diffèrent peu, le premier est utilisé sur le troisième étage de la Soyouz 2.1, le second sur le second étage (URM-2) de l'Angara. Tous deux développent des poussées de l'ordre de 30 T. Le troisième est l'agrégation de deux unités des moteurs précédents, le tout développant environ 60 T et équipera le second étage du lanceur Soyouz-5). Soit ici 2 moteurs.
Les différents lanceurs sont décrits. N'est pas pris en compte le lanceur Soyouz 2.1 qui, aujourd'hui, est le lanceur le plus utilisé par la Russie et qui sera remplacé à terme mais assurera la continuité tant que les autres n'auront pas fait leur preuves.
Sur le graphique nous avons traduit (en vert) le nom des lanceurs et indiqué par un trait (vert aussi) la relation avec la représentation de ceux-ci.
Le premier d'entre eux est celui qui est le moins défini, c'est un lanceur très léger (1T de capacité en orbite basse) et a des chances d'être développé en coopération avec le privé. Sa principale caractéristique est de fonctionner à l'oxygène liquide en combinaison avec le méthane (GNL).
Le second, est la version légère de l'Angara (1.2), 3 T de capacité et ergols classiques. Ce lanceur a déjà volé (une fois) et sera opérationnel rapidement depuis Plesetsk et en 2023 à Vostochny (pas de tir en construction). Il n'utilise pas d'étage d'injection mais juste un module d'agrégation.
Le troisième est le Soyouz-GNL, donc fonctionnant avec le méthane (et oxygène liquide). 10 T de capacité avec un bloc d'injection Fregat. Son statut est incertain et très lié aux développements de la technologie méthane. Son avenir est donc relié à celui du lanceur léger.
Le quatrième et le cinquième correspondent au lanceur Soyouz-5 (Irtych) en développement, conçu pour remplacer la fusée Zenit à Baïkonour et, peut-être, sur la plateforme Sea-Launch de S7 Space. De capacité totale de 17 T, son premier étage entrera dans la composition (voir plus bas) des boosters périphériques du lanceur super-lourd Yenisseï (rationalisation!). Il utilisera un bloc d'injection DM. Une version plus courte, Soyouz-6 (aussi appelé Amour) et donc plus légère, mais utilisant le même pas de tir à Baïkonour, ramènera sa capacité à 9 T.
Les sixième et septième lanceurs du schéma correspondent à l'Angara 5 qui aura différentes versions: A5M (la classique modernisée, 27 T), A5P (pour le vaisseau piloté Orël), et A5V (38 T), cette dernière marquant l'arrivée d'un bloc d'injection H202 liquides, le KVTK, qui sera aussi utilisé sur le lanceur super-lourd Yenisseï.
Enfin, le huitième lanceur, le lanceur super-lourd (70 T) Yenisseï, prévu normalement à la fin de la décennie (2028) qui, une fois équipé de l'étage cryotechnique et d'un bloc de type DM, aura une capacité de 103 T (dont 27 T en orbite lunaire). Il utilisera essentiellement les éléments utilisés sur Soyouz-5 et 6.
On pourrait ainsi étendre les listes indiquées plus haut avec une liste des:
- Blocs d'injection: Fregat, DM et KVTK. Ils seront donc au nombre de 3.
Il manque encore une liste des moteurs utilisés pour les étages d'injection...
Toute cette description, un peu détaillée, pourrait aller dans le sens contraire au message souhaité: mais en fait l'avenir technologique à moyen terme des lanceurs russes se résumera à deux lignes de lanceurs:
- la série Soyouz-5, Soyouz-6, Yenisseï
- la série Angara
Ces deux lignes auront des variantes, dont certaines verront le jour et d'autres pas selon les nécessités et les capacités de financement, sans compter l'état du marché mondial.
Source et illustration graphique: D Rogozine