La Russie dévoile son remorqueur spatial nucléaire Nuclon: un vrai pas en avant !

Chez Arsenal le remorqueur en cours de construction: il s'agit probablement d'un exemplaire expérimental ©KB Arsenal/Roscosmos

Nouvelle plutôt exceptionnelle: le projet d'engin spatial nucléaire russe a significativement avancé, à tel point que l'entreprise qui le fabrique a dévoilé photos et images.

Pas d'affolement, sa mise sur orbite n'est tout de même pour demain mais plutôt pour la fin de la prochaine décennie: n'empêche les images dévoilées montrent qu'on n'en est plus à l'élaboration théorique mais à la phase de construction expérimentale.

Notons tout de suite que les satellites à moteurs nucléaires ne sont pas nouveaux. Dans le passé, en particulier dans les années 70 du siècle dernier, les soviétiques ont construit plusieurs satellites nucléaires. Néanmoins il s'agit ici d'un gros engin, un remorqueur spatial, pouvant assurer des vols interplanétaires et non des vols en orbite terrestre (et tant mieux pour nous).

Tout d'abord les infos provenant de Roscosmos relayées par l'agence TASS:

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D'ici la fin de 2020, la société d'État Roscosmos signera un contrat pour le développement du complexe Nuclon, qui comprend un remorqueur spatial avec un réacteur nucléaire à bord. En 2030, l'appareil devrait effectuer un long vol avec une destination finale sur l'un des satellites de Jupiter, a déclaré Alexandre Bloshenko, directeur exécutif de Roscosmos pour les programmes prometteurs et la science, à TASS.

"Le contrat pour la conception préliminaire du complexe spatial Nuclon sera conclu d'ici la fin de cette année. Le remorqueur spatial avec un réacteur nucléaire de ce complexe sera utilisé pour des vols vers des planètes éloignées du système solaire, sa première mission est prévue pour 2030", a déclaré Bloshenko.

Parlant du programme de vol du remorqueur Nuclon, le directeur exécutif a noté que "ce ne sera pas seulement un lancement d'essai avec une boîte noire, mais un programme scientifique à part entière".

En particulier, lors de la première étape de la mission en 2030, le remorqueur accostera dans l'espace avec le module de charge utile et se rendra aux abords de la Lune, qu'il sondera et laissera un satellite de recherche sur son orbite. Au deuxième stade, l'ensemble du remorqueur spatial et du module de charge utile s'envolera vers Vénus, et sur le chemin de la planète, il est possible de réaliser des tests pour ravitailler le remorqueur en carburant (gaz xénon).

"Une fois parvenu aux abords de Vénus même, un satellite de recherche se séparera également du module de charge utile, et le remorqueur lui-même avec le matériel scientifique restant effectuera une manœuvre gravitationnelle et passera à la troisième étape de la mission pour voler jusqu'au point final - le satellite de Jupiter et l'étudier", a déclaré Bloshenko.

Le directeur exécutif a précisé que la conception du remorqueur spatial sera un module de transport et d'énergie à architecture ouverte. Ses principales caractéristiques sont la capacité à générer de l'énergie de manière autonome à partir d'un réacteur nucléaire de classe mégawatt pendant une longue période et la capacité de transporter diverses charges utiles. Pour comprendre les capacités énergétiques du nouveau remorqueur spatial, Bloshenko a noté qu'à titre de comparaison, la Station spatiale internationale ne génère pas plus de 60 kilowatts d'énergie à l'aide de ses panneaux solaires.

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Les déclarations de Bloshenko apparaissent dans la vidéo hebdomadaire Kosmicheskaya Sreda n°297 du 16 septembre 2020. Ses paroles sont accompagnées d'animations fournies par KB Arsenal, l'entreprise de Saint-Petersbourg. Cette entreprise a fourni d'autre images qu'on retrouve ici et là sur les forums.

En particulier Anatoly ZAK sur son site www.russianspaceweb.com explique en détail ce qu'on sait du projet: une lecture intéressante (en anglais!) qui explique bien de quoi il s'agit. Et Anatoly ZAK, généralement peu enclin à s'extasier sur les réalisations spatiales russes, qualifie de formidable ce remorqueur.

En quelque mots rappelons ici de quoi il s'agit.

En fait il s'agit d'un engin dont le propulsion est assurée, non pas par une quelconque "explosion nucléaire" mais par des moteurs ioniques. Brièvement aussi ces moteurs consistent à chauffer un gaz (du xenon) qui émet alors un flux ions xenon  et propulse l'engin spatial. Actuellement les moteurs ioniques sont utilisés assez fréquemment pour l'orientation des satellites ou leur mise à poste définitive. Ce sont donc des moteurs de faible "efficacité". Entendons-nous bien: la poussée est très faible (entre 0,05 et 5 newtons en 2018) et de ce fait son utilisation est réservée au domaine spatial. Mais la vitesse d'éjection des ions, qui est très élevée (jusqu'à 50 km/s), produit un rendement (impulsion spécifique) 10 fois plus élevé que les moteurs chimiques ce qui permet de diminuer fortement la masse de l'engin spatial en réduisant la quantité d'ergols à emporter.

Le point crucial est que ces moteurs exigent une alimentation électrique puissante.

Pourtant si on n'est pas pressé, le fonctionnement durable de ces petits moteurs permettent par exemple de déplacer la position des satellites géostationnaires depuis leur point de libération par l'étage supérieur du lanceur jusqu'à leur point d'exploitation final en quelques semaines ou mois.

Tout change si on est capable de fournir suffisamment d'énergie électrique: c'est là qu'un réacteur nucléaire intervient (au travers d'un générateur thermoélectrique à radioisotopes, prenant la place des poussifs panneaux solaires. Alors il est possible de réaliser des voyages interplanétaires durables, voire rapides, car les moteurs ioniques peuvent continuer à fonctionner en permanence et donc procurer une accélération continue (seule limitation: la réserve de xénon). Autre intérêt: les missions lointaines, c'est-à-dire loin de soleil, où la source solaire est faible, sont possibles même pour des engins de grande tailles.

Les Russes, depuis une dizaine d'années, développent un réacteur nucléaire de la catégorie mégawatt pour alimenter les moteurs ioniques (comme on l'a vu plus haut les panneaux de l'ISS, pourtant gigantesques, ne développent que 60 kilowatts). Il semble bien qu'ils aient désormais tous les éléments pour constituer leur remorqueur!

Bien sûr, cela ne va pas de soi: il faut disposer le réacteur nucléaire sur un longue poutre (truss en anglais) pour éloigner le réacteur et ses émissions radioactives de l'engin lui-même, c'est-à-dire des moteurs ioniques, de l'électronique et de la charge utile. Ce moteur va également dégager de la chaleur (le rendement n'est pas à 100% comme dans toute machine: il faudra donc évacuer cette chaleur à l'aide de "radiateurs" spéciaux (comme sur l'ISS) car dans l'espace la chaleur ne peut passer dans un milieu...vide. Pas de conduction ou de convection. Il faut donc émettre la chaleur sous forme de radiations.

Les images qui suivent, et en particulier le schéma proposé par Anatoly ZAK, permettent de comprendre le principe et expliquent la forme du remorqueur. Celui-ci sera lancé, en partie replié, par un lanceur Angara A5M ou A5V, et le réacteur nucléaire ne sera activé que lorsqu'il se sera éloigné de la Terre de plus de 600 km afin qu'en cas de défaillance il n'aille pas retomber sur Terre rapidement.

Source: TASS; Crédits photographiques: KB Arsenal/Roscosmos

Les radiateurs du remorqueur du projet Nuclon.

Le remorqueur, radiateurs déployés.

La poutre centrale s'est déployée et les radiateurs sont en train de le faire.

Le bloc de moteurs ioniques et des dispositifs électroniques de commande.

Les schémas proposés par www.russianspaceweb.com  où l'on reconnaît les différentes parties du TEM (Transport et Energie Module) du projet Nuclon.