Une seconde douche froide pour l’astronautique: les moteurs Raptor de SpaceX en cause?

Les 39 moteurs raptors.

Les 39 moteurs raptors de StartShip. Illustration @SpaceX. Une disposition qui n'est pas sans rappeler les moteurs NK-33 de la fusée lunaire russe N1 de la fin des années soixante. Espérons que StarShip ne connaisse pas le même sort: aucun lancement réussi et le projet abandonné.

Fans d'astronautique, nous n'aimons pas découvrir des informations qui douchent nos espoirs voire nos rêves.

Or, bien qu'un regain d'intérêt pour la cosmonautique (comme l'appellent les Russes) puisse ces dernières années être constaté parmi le grand public, deux informations viennent coup sur coup (il faudrait écrire, on verra pourquoi plus loin, "coûts sur coûts") refroidir notre enthousiasme.

D'abord (voir ici) la NASA qui doute d'un retour humain sur la Lune en 2024 comme annoncé il y a quelques années.

Et voici qu'une lettre interne à SpaceX, écrite par Elon Musk, fuite et participe à tempérer nos rêves d'envoyer une expédition humaine sur Mars...

Mais d'abord de quoi s'agit-il dans cette lettre?

Des informations sont parues dans les médias sur la « faillite possible de SpaceX » selon Elon Musk lui-même. Pendant les vacances de Thanksgiving, le fondateur de la société aurait envoyé une lettre officielle aux employés de SpaceX, qui a rapidement été divulguée sur le Web. Au début, elle a été publiée par le média spatial non connu spaceexplored.com, plus tard le message a été confirmé par CNBC, qui a reçu une copie de la lettre en provenance de ses propres sources.

Voici une traduction, probablement approximative, du contenu de cette lettre:

"Malheureusement, la crise du moteur Raptor est bien pire qu'il n'y paraissait il y a quelques semaines, lorsque nous avons traité les problèmes. Depuis le départ de la direction précédente, ils se sont malheureusement avérés beaucoup plus graves qu'on ne l'avait annoncé.

J'allais prendre des vacances ce week-end comme mon premier week-end depuis longtemps, mais à la place, je serai à la production de moteurs Raptor toute la nuit et toutes les vacances.

Si vous n'avez pas de problèmes familiaux critiques et que vous pouvez physiquement retourner à Hawthorne [où se trouvent les Raptors] - venez. Nous aurons besoin de toutes nos forces pour nous remettre de ce qui, franchement, devrait être appelé un désastre.

Les implications pour SpaceX, si nous ne pouvons pas construire des moteurs Raptor suffisamment fiables, sont que nous ne pourrons pas utiliser Starship, ce qui signifie que nous ne pourrons pas construire de radôme V2 StarLink, ni la charge utile en orbite requise pour les satellites V2. À eux seuls, les satellites Starlink V1 de première génération sont financièrement faibles, tandis que le V2 est beaucoup plus puissant.

De plus, nous devons augmenter la production de terminaux à plusieurs millions d'unités par an, ce qui nécessitera un investissement en capital énorme, mais cela ne fonctionnera que si les satellites V2 sont en orbite pour répondre aux besoins de bande passante des utilisateurs. Sinon, ces bornes seront inutiles.

Tout se résume au fait que nous sommes confrontés à un risque réel de faillite si l'année prochaine nous ne pouvons pas atteindre la fréquence des vols de StarShip d'au moins une fois toutes les deux semaines.

Merci

Elon."

Et sa version originale:

Unfortunately, the Raptor production crisis is much worse than it had seemed a few weeks ago. As we have dug into the issues following the exiting of prior senior management, they have unfortunately turned out to be far more severe than was reported. There is no way to sugarcoat this.

I was going to take this weekend off, as my first weekend off in a long time, but instead, I will be on the Raptor line all night and through the weekend.

Unless you have critical family matters or cannot physically return to Hawthorne, we will need all hands on deck to recover from what is, quite frankly, a disaster.

The consequences for SpaceX if we can not get enough reliable Raptors made is that we then can’t fly Starship, which means we then can’t fly Starlink Satellite V2 (Falcon has neither the volume nor the mass to orbit needed for satellite V2). Satellite V1, by itself, is financially weak, while V2 is strong.

In addition, we are spooling up terminal production to several million units per year, which will consume massive capital, assuming that satellite V2 will be on orbit to handle the bandwidth demand. These terminals will be useless otherwise.

What it comes down to, is that we face a genuine risk of bankruptcy if we can’t achieve a Starship flight rate of at least once every two weeks next year.

Thanks,

Elon

Que doit-on penser de cette lettre? On sait qu'Elon Musk a plus d'un tour dans son sac en matière de communication et, peut-être, la fuite a pu être volontaire ou suscitée. Par exemple pour dénigrer les responsables du développement des moteurs Raptor qui ont quitté l'entreprise. Allez savoir...

À kosmosnews.fr nous ne croyons pas à une faillite de SpaceX...sauf si Elon Musk est lâché par ses bailleurs financiers que sont la NASA et le Ministère de la défense américaine, soit donc les finances publiques des Etats Unis. Pour l'instant il n'en est rien.

Il semble, par contre, que ce qui est appelé "la crise des Raptors" soit bien réelle, avec des difficultés de mise au point et l'impossibilité, pour le moment, d'établir une production industrielle de ces moteurs par le fait même qu'ils sont pour le moment peu fiables.

Ce qui est assez étrange c'est de lier StarShip et StarLink.

Sans doute trop occupés par l'actualité spatiale russe, nous n'avions pas réalisé que StarShip était, en plus de son destin Martien (colonisation de Mars par les terriens...), destiné à orbiter la seconde génération des satellites StarLink: honte à nous, ou bien mauvaise communication de SpaceX ?

Soyons francs: nous avons plusieurs fois dénoncé les annonces démesurées de Musk, démesurées car totalement irréalistes technologiquement, sans parler, mais cela va avec, des délais annoncés, eux aussi fantaisistes.

Le voyage aller-retour des humains vers Mars ne se fera pas à échéance prévisible: il faudra attendre quelques dizaine d'années au moins.

Elon Musk s'appuie sur l'espoir d'un vaisseau-fusée réutilisable un très grand nombre de fois. Mais on sait, depuis la navette américaine et même la russe Bourane, que ce système de transport de grands volume et charge n'est supportable par aucune organisation ou Etat. Le coût d'exploitation est faramineux.

Y aurait-il quelque chose de changé dans les technologies spatiales qui remettrait en cause ce constat? La réponse est clairement négative.

L'apport de SpaceX est cependant réel en ayant montré qu'on pouvait récupérer les premiers étages des fusées traditionnelles et les réutiliser. Encore faudra-t-il en vérifier l'avantage financier sur le long terme. Les Russes n'y croient que pour certaines missions standard et n'espère pas un gain, au mieux, de plus de 15 à 20%.

Lorsque SpaceX venait d'entrer sur le marché spatial avec sa fusée Falcon 9 partiellement récupérable, Elon Musk a souvent dit qu'abaisser le prix de la mise en orbite d'un kilogramme de charge utile provoquerait une forte augmentation de la demande de services de lancement. En conséquence il y aurait beaucoup plus d'entreprises souhaitant lancer leurs satellites.

Le prix a baissé, mais pas autant que la direction de SpaceX l'avait promis, et cela n'a pas conduit à une forte augmentation du nombre d'engins spatiaux lancés (par exemple, en 2021, SpaceX n'a ​​effectué jusqu'à présent que quatre lancements commerciaux qui ne sont pas liés aux commandes du gouvernement).

Il a lui-même créé artificiellement une augmentation de la demande pour les services de SpaceX en lançant le projet StarLink pour fournir un accès Internet haut débit dans le monde entier. Cela nécessite une "constellation" d'un grand nombre de satellites (plus de 10 000 pièces !) - StarLink a commencé à acheter activement des services de lancement à SpaceX, et là, ils ont pu utiliser une partie de l'argent pour développer StarShip. Il s'agit d'un schéma simplifié; en réalité, les flux de trésorerie sont distribués de manière beaucoup plus compliquée mais peu importe.

Alors, StarShip est-il essentiel pour StarLink ou vice versa ? Laquelle des technologies est nécessaire pour continuer le travail sur un autre projet ? En fait, il n'y a pas de réponses à ces questions. Pour lancer les gros et lourds satellites StarLink  de deuxième génération (V2), une fusée de type StarShip semble nécessaire (si on veut le faire à moindre coût et rapidement), et StarShip à son tour a besoin de commandes et d'argent de leur part pour terminer son travail.

Selon les plans annoncés précédemment, le début des lancements orbitaux de Starship aurait dû être en janvier 2022, et d'ici la fin de l'année, Elon Musk espérait atteindre des lancements réguliers en raison de la réutilisabilité du système et de l'absence de nécessité de créer un nouvelle fusée à chaque lancement. Mais le plus difficile, et le goulot d'étranglement du système, est le moteur Raptor, créé spécifiquement pour StarShip.

Comme Musk l'admet lui-même, les problèmes de développement et de production se sont avérés beaucoup plus graves qu'il n'y paraissait, ce qui, peut-être, a motivé la rédaction de cette lettre aux employés.

Néanmoins, il est trop tôt pour parler de faillite de l'entreprise ou même de sa proximité. Elon Musk fait souvent preuve d'impulsivité, ce qui signifie qu'il n'est pas exclu qu'il puisse écrire cette lettre juste pour remonter le moral et, peut-être, même intimider ses employés. La demande aux employés de revenir à l'usine pendant les vacances tombe également dans la même tirelire - si le problème peut être résolu simplement par un tel appel, il est peu probable que cela entraîne des conséquences aussi graves que celles annoncées par Musk...

Beaucoup plus intéressant dans cette lettre, est que Musk exprime son désir d'atteindre la fréquence de vol de Starship toutes les deux semaines (!), et des informations sur la taille et le poids de la deuxième version des satellites StarLink. Mais encore une fois, ce ne sont que des mots jusqu'à présent, pas de chiffres - la fréquence de vol n'est maintenant considérée que pour décembre 2022, au mieux, avec toujours cet irréalisme (ce volontarisme hypertrophié?).

Elon Musk s'est-il laissé piéger par sa réussite initiale ? La mise au point réalisée en peu de temps du lanceur au premier étage réutilisable Falcon 9 ? A-t-il cru que ce serait pareil pour son StarShip ?

La société a beaucoup dépensé sur Starship, et si au cours de 2022-2023 elle ne commence pas à voler en orbite, comme annoncé précédemment, alors SpaceX aura des problèmes considérables à la fois de réputation et, éventuellement, de nature financière.

En attendant, StarShip n'a que quelques vols atmosphériques, un seul atterrissage en douceur (ceci en grande partie dû aux moteurs Raptor), et, quand même, une bonne maniabilité.

Ce qui est inquiétant par cotre c'est la façon de procéder: on teste une multitude de versions non fiabilisées qui échouent souvent: contrairement aux processus d'ingénierie modernes, on semble revenu au siècle précédent où on a longtemps procédé avec le cycle itératif essai-modification-essai-modification... À moins que cela soit voulu pour "faire le buzz"?

Maintenant, le plus important pour l'entreprise est d'établir sa production industrielle le plus tôt possible, et c'est ce dont parle Musk.

À kosmosnews.fr on veut bien y croire (un peu) pour la partie orbite basse. Pas pour autre chose.

Sources: Rédaction de kosmosnews.fr, Mikaïl Kotov/TASS; crédit photographique: wikipedia

Moteur Raptor de Space X © Brandon De Young / CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons.

Moteur Raptor de Space X © Brandon De Young / CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons.