Pavel Vlassov (TsPK): l’interview en français

Pavel Vlassov, DG du TsPK "youri Gagarine".

Pavel Vlassov, le DG du TsPK, le centre de préparation des cosmonautes russes, a donné une interview à RIA Novosti. En voici la traduction libre en français, spécialement pour les lecteurs de kosmosnews.fr.

- Pavel Nikolaevich, combien de candidatures et de qui, sont déjà arrivées pour le recrutement actuel au corps des cosmonautes? À quoi se préparera cet ensemble de cosmonautes?

- Au total, au 4 mars, nous avions 922 demandes. Elles sont arrivées à la fois par téléphone et par e-mail. 74 dossiers ont été finalement soumis - de 16 femmes et 58 hommes. Parmi eux, 15 candidats de l'industrie de l'espace, 2 de Rosatom, 9 du Ministère de la défense. Les candidats retenus seront préparés pour les vols sur l'ISS, les vaisseaux Soyouz et Orël, ainsi que pour le programme lunaire habité. Ils auront un travail intéressant à faire.

- Quelles exigences pour ceux qui veulent devenir cosmonautes? Des assouplissements ?

- L'ensemble moderne d'exigences relatives à la santé des astronautes est déterminé par arrêté du ministère de la défense et du ministère de la santé. Le TsPK n'établit pas ces règles, nous ne pouvons qu’initier leur révision. Actuellement nous discutons avec les militaires et les médecins de la nécessité et des possibilités de modification. Si nous parvenons à un consensus, nous nous tournerons vers Roscosmos avec une demande d'ajustement des exigences. Mais ici, il est important de comprendre ceci: si une personne a des problèmes cardiaques, nous ne pouvons pas supprimer une telle exigence. Mais la gamme d'acuité visuelle requise est déjà légèrement élargie.

- Comment se passe la préparation des candidats cosmonautes recrutés en 2018 ? Y-a-t-il des abandons ?

- Ils se préparent plus ou moins uniformément. L’abandon arrive, bien sûr, lorsque quelqu'un n'a pas terminé quelque chose. Ils appartiennent à une autre génération qui ne peut pas vivre sans Internet. Tout le monde est sur les réseaux sociaux. Il y a cette tendance actuelle: si vous ne postez rien le soir, alors le lendemain vous serez «malade». Cela ne peut qu'affecter la préparation. Si vous regardez le smartphone d'un œil, tout en étudiant, qui vous a liké, alors  l'attention est dispersée. Nous voulons garder cette situation sous contrôle.

L'étape de la formation spatiale générale se terminera en novembre-décembre. Et avant la nouvelle année, une réunion de la commission interministérielle de qualification se tiendra, qui, sous réserve d'une formation réussie, attribuera aux candidats la qualification de «test-cosmonaute».

- En Russie, le développement d'un engin spatial de nouvelle génération «Orël» est en cours. Quand la formation des astronautes commencera-t-elle pour ce vasseau? Des candidats pour le premier équipage ont-ils été sélectionnés?

- Nous avons plusieurs groupes de travail, qui comprennent presque tous les astronautes expérimentés. En collaboration avec les concepteurs d’Energuya et de RKT Progress, ils évaluent l'ergonomie du vaisseau spatial Orël et accordent une attention particulière à l'interface pour qu'elle soit conviviale. Nous attirons également de jeunes cosmonautes dans ce travail. Jusqu'à présent, il n'a pas été déterminé au sein du TsPK qui entrera dans le premier équipage d’Orël. Mais d’ici 2025, on a le temps.

Orël est destiné aux vols vers les orbites proches de la Terre et vers la Lune. Quels travaux sont effectués par les spécialistes du TsPK dans l'intérêt du programme lunaire habité?

- Nous menons plusieurs projets de recherche pour préparer la base de formation. Nous avons un simulateur Exit-2, où les opérations pour sortir dans l'espace sont pratiquées. Par analogie avec lui, il est prévu de créer un nouveau simulateur qui simulera le travail des cosmonautes à la surface de la Lune et de Mars et la gravité spécifique sur ces planètes.

Nous développons également le simulateur du vaisseau "Orël" avec des fonctionnalités avancées. Nous pensons qu'un seul simulateur pour une formation de haute qualité des équipages sera suffisant. Mais si nous voyons que le nombre de lancements augmente alors, en conséquence, la charge sur la formation des équipages augmentera, et alors nous commanderons un autre simulateur.

- La composition du kit d’urgence des cosmonautes à bord d’Orël va-t-elle changer? Il y avait des rumeurs selon lesquelles une arme à feu serait réintégrée ...

- Dans la réserve d'urgence portable (NAZ) du vaisseau spatial Orël, sera inclue une nouvelle combinaison pour que le cosmonaute reste dans l'eau (au lieu de la combinaison actuelle « trout » en caoutchouc). Comme le vaisseau est plus haut, nous avons besoin d'un système spécial de «Samospas*», qui aidera l'équipage à sortir de lui-même par la trappe supérieure avant l'arrivée des sauveteurs. Il y aura une corde pour que les astronautes puissent travailler ensemble. Plus de nouveaux médicaments et analgésiques.

Un vaisseau peut atterrir dans une zone non planifiée, et là, les gars devront se battre pour la vie, donc les laisser sans possibilité d'effrayer une bête sauvage serait une erreur. Actuellement, l'étude préliminaire envisage une inclusion de ce type dans la NAZ, ce qui augmenterait la sécurité des équipages de ce point de vue.

Je n'exclus pas la possibilité que nous équipions les vaisseaux Soyouz de ce moyen, sinon ce ne serait pas logique - l'équipage du nouveau vaisseau le recevrait alors que les équipages su Soyouz voleraient les mains vides ?...

- L'année dernière, Energuya a effrayé tout le monde avec un message selon lequel les astronautes pourraient mourir lors d’un atterrissage dans l'océan, en cas d'urgence, s'ils ne sont pas rapidement retrouvés. Que faut-il nécessairement pour sauver l'équipage d’Orël dans ce cas suite à un problème lors du retour?

- Dans un an ou deux, en collaboration avec Energuya et l'Agence fédérale du transport aérien, nous formulerons les grandes lignes de l'équipe de recherche et de sauvetage de l'équipage d'Orël lors du lancement à partir du port spatial de Vostochny.

Parmi les options discutées figurent les bateaux et les avions, qui peuvent voler rapidement et loin. À l'époque soviétique, un prototype de bateau à grande vitesse a été développé, atterrissant avec des sauveteurs à l'intérieur, depuis un avion IL-76. Un tel outil est également envisagé.

J'avoue que nous sommes un peu inquiets d’un amerrissage d’Orël. Surtout quand l'équipage revient après un long vol spatial. Après tout, le plus gros problème sera le mal des transports sur les vagues pour des cosmonautes affaiblis par la gravité zéro.

Les États-Unis construisent également leurs nouveaux vaisseaux spatiaux. Cependant, les Américains continuent jusqu'à présent de voler sur nos soyouz et veulent même acheter de nouvelles places. Quels astronautes feront partie des équipages des soyouz les plus proches d’un lancement?

- Au printemps et à l'automne 2020, la partie américaine a sélectionné respectivement Christopher Cassidy et Stephen Bowen. Il n'y a pas de décision finale de la NASA pour le printemps 2021. Mais s'ils utilisent cette opportunité, ce sera Kathleen Rubins.

Nos astronautes voleront-ils sur les vaisseaux privés américains et quand ces vols commenceront-ils? Les candidats sont-ils déjà sélectionnés?

Nous ne commencerons à voler sur ces vaisseaux que lorsque la partie américaine nous convaincra de leur sécurité. Jusqu'à présent, les statistiques dont ils disposent n'inspirent pas confiance. Notre position: le vol n'est possible qu'après des missions habitées réussies de chacun des vaisseaux.

Il existe déjà un groupe de cosmonautes russes présélectionnés pour des vols sur des vaisseaux américains. Cela n'a pas encore été fixé par des documents administratifs, car, franchement, ils n'ont rien à faire là-bas (aux USA), selon l'état actuel des choses. Un des candidats est Andreï Borisenko. Mais si les essais des vaisseaux de la NASA se prolongent trop, alors il sera logique de laisser Borisenko voler sur Soyouz à la place.

N'oubliez pas que la fabrication d'équipements pour les cosmonautes demande beaucoup de temps, donc des négociations préliminaires sont en cours avec la partie américaine à ce sujet. Ils inviteront peut-être nos cosmonautes à l'avance pour effectuer les mesures nécessaires. Soit dit en passant, nos cosmonautes voleront sur des vaisseaux américains comme passagers et non comme des pilotes. Ils n'y auront pas de fonctions de commandement.

- Et y aura-t-il des problèmes avec la formation de nos cosmonautes aux USA? Après tout, les vaisseaux sont commerciaux, avec un savoir-faire ...

Je ne connais pas de tels problèmes. En fin de compte, le client des vaisseaux est la NASA, et elle qui commande et décide. Il peut bien sûr y avoir toutes sortes de problèmes, tout change, mais je pense que c'est surmontable.

- En février, quatre candidats aux cosmonautes indiens sont arrivés au CPC. Quelle sera la particularité de leur préparation?

- Des pilotes militaires indiens seront formés avec nous jusqu'en février 2021 inclusivement dans le cadre du programme de test des cosmonautes. Il consistera en une formation spatiale générale et en une étude du vaisseau spatial Soyouz. Ils n'étudieront pas l'ISS. L'expérience acquise ici leur permettra très probablement de participer activement au développement de leur propre vaisseau « Gaganyan ».

L'enseignement sera dispensé en anglais, mais en parallèle, il y aura des cours de russe. C'est impossible sans cela, car dans Soyouz tout est écrit en russe, et toute la documentation est en russe.

- Deux touristes sont-ils venus au TsPK afin qu’ils volent vers l'ISS sur Soyouz fin 2021? Quand doivent-ils arriver pour suivre une formation?

- Space Adventures ne nous les a pas encore présentés. Avec une formation suivie, les touristes doivent commencer leur formation ici au plus tard six mois avant le lancement. Je pense que l'une des raisons des difficultés de sélection des touristes réside dans la disponibilité. Tous les touristes spatiaux doivent être des gens riches pour s'offrir un plaisir aussi cher. Or ils sont tous en affaires ailleurs, et c'est pas si simple de tout quitter pendant six mois - c'est un grave problème pour eux.

- Quand l'hydrolaboratoire, en réparation depuis six ans, sera-t-il mis en service? Quelles sont les raisons de ces retards?

- Nous l'avons rempli d'eau. Nous avons effectué des tests statiques de la plate-forme de montage et de levage, sur lesquels les modèles des modules du segment russe ISS seront installés. Ses tests dynamiques commencent actuellement. Dans un proche avenir, nous devrions terminer l'ensemble des tests. Ce n'est qu'après cela qu'il sera possible de commencer le fonctionnement d'essai de l'hydrolaboratoire. Et puis les astronautes russes pourront ensuite se préparer pleinement aux sorties dans l'espace.

Les principaux retards étaient liés à la malhonnêteté des constructeurs militaires qui nous ont simplement abandonnés. Beaucoup de choses n'ont pas été faites, mais ce qui a été fait n'était pas conforme à la documentation, j'ai donc dû tout refaire.

En particulier, nous avons sorti la plate-forme de soutien des modules, l'avons mise en ordre pendant près de six mois, car elle était pleine de défauts et de déformations. Les constructeurs n’ont pas compris ce qu’il fallait. Pour remédier à la situation, il était nécessaire d'attirer les meilleurs esprits de l'industrie - du TsENKI et et de KB.

- L’année dernière, les avions Youri Gagarine et Sergey Korolev, Tu-204, ont été ajoutés à la flotte du TsPK. Ils ont déjà commencé à être utilisés. Quel sort attend les anciens Tu-134 à cet égard?

- Avant d'abandonner les Tu-134 éprouvés, nous devons acquérir de l'expérience dans l'utilisation du Tu-204. Il est clair que trois Tu-134 en combinaison avec deux Tu-204 c’est trop, nous n'avons certainement pas besoin d'une telle quantité, alors ma vision est la suivante: nous quitterons et prendrons en charge le plus récent des Tu-134, et nous mettrons hors service et rendrons les deux autres à l'État, afin qu'il détermine quoi faire avec eux - les vendre ou les mettre dans un musée.

*Samospas : sorte de glissière permettant à un homme de quitter un endroit en hauteur très rapidement en glissant, parfois désigné sous le vocable de « geronimo ».

Sources: Roscosmos/RIA Novosti/TsPK