Lanceur Soyouz 2.1: il est temps de penser à son avenir selon Dmitry Rogozine

Le moteur RD-180 ©Energomash.

On le sait il y a une concurrence féroce dans le domaine des lanceurs spatiaux: à la fois marché important en terme de valeur et petit en terme de nombre. Une centaine de lancements sont effectués par an dans le monde désormais mais des prix qui se comptent en centaines de millions de dollars pour chaque lancement.

Dans ce cadre chaque lanceur et son coût de production sont évidemment un enjeu majeur. C'est encore plus vrai pour un pays comme la Russie qui joue un des rôles majeurs dans le domaine spatial mais dont les financements sont cependant limités (pour parler vite environ 1 dixième du budget de la NASA).

La Russie est donc lancée dans une chasse à la conception et à la production de lanceurs, sinon économiques, mais du moins concurrentiels au niveau coût. Ce n'est pas une mince affaire: on l'a souvent écrit ici, dans un pays où l'héritage technique était important mais aussi vieillissant en raison de la très mauvaise passe économique qui a suivi la désintégration de l'URSS et la gabegie libérale de l'ère Yeltsine qui a vu l'administration d'état russe vaciller.

Outre le lanceur lourd Angara (à terme 27 T en orbite basse) dont la production est en cours d'organisation, les russes développent le lanceur Soyouz-5  de capacité intermédiaire (17 T en orbite basse) dont la base donnera naissance à un lanceur super-lourd (Yenisseï, 70 T en orbite basse).

Mais quid du lanceur Soyouz 2.1, aujourd'hui acteur majeur de l'activité spatiale russe? Ce lanceur peut mettre sur orbite environ 8 T en orbite basse. Très fiable, possédant de nombreux pas de tir en Russie (5) et à Kourou (1) ainsi que les bâtiments et équipements pour sa préparation au lancement; il est, de part sa longévité (le premier vol, sous forme de missile intercontinental a eu lieu le 22 août 1957) et le nombre de lancements réalisés (1907 à ce jour) un lanceur  assurément bon et relativement économique.

Cependant son architecture est complexe avec de nombreux changements de diamètre de son "fuselage" et donc relativement compliqué à construire. Il utilise de plus, pour sa partie inférieure, des moteurs (4 RD-107A et 1 RD-108A), au nombre de 5, qui possèdent chacun 4 ensembles de chambres de combustion et de tuyères. Là aussi la production est relativement coûteuse en temps...donc aussi en roubles.

Il n'y a pas urgence à changer les choses car la production est rodée et le lanceur très fiable.

Pourtant Dmitry Rogozine a indiqué vendredi 26 juillet à Korolyov qu'il était temps de penser à l'avenir du lanceur Soyouz 2.1. Et il a ajouté: "une solution possible est d'utiliser le moteur RD-180 pour le premier étage". Que cela signifie-t-il? D'abord on peut penser que réaliser des modifications sur le lanceur issu de la R-7 (nom original de la fusée dans les années cinquante) va prendre du temps et qu'il faut mieux y penser bien avant que cela soit devenu urgent. Comment assurer une évolution de ce lanceur tout en gardant la base de préparation et de tir du lanceur répartis dans tout le pays (Baïkonour, Plesetsk, Vostochny), voire en Guyane?

Mais il y a une autre raison. La solution proposée est le RD-180 soit le moteur (issu du RD-170) créé pour la fusée américaine Atlas. Or on le sait, la politique américaine est d'appliquer des sanctions envers la Russie, et les USA ne continuent à acheter ces moteurs que parce qu'ils ne disposent pas actuellement de l'équivalent! Mais cela ne va pas durer et dans les années futures les contrats ne seront pas renouvelés. Que faire alors de la chaîne de production de ces moteurs? Sinon les installer sur le lanceur Soyouz de type 2.1?

Si on fait un rapide calcul la poussée développée (au niveau de la mer) par les 5 moteurs actuels de la soyouz 2.1 équivaut à 420 T (mais les boosters ne fonctionnent que durant les 2 premières minutes). Le RD-180 développe 390 T environ. Soit à peu près l'équivalent.

Toutefois, il est impossible de remplacer simplement les 5 moteurs anciens par 1 nouveau compte-tenu de l'architecture du lanceur soyouz, si caractéristique et esthétique soit-elle (4 boosters en fuseau entourant un corps central)...

Alors qu'elle est l'idée derrière la tête de Rogozine (enfin disons des ingénieurs de RKTs Progress)? On ne peut faire que des hypothèses. La mienne sera la suivante: utiliser l'architecture de la version 2.1v (le lanceur soyouz léger) qui possède un corps central unique élargi mais qui conserve les supports au pas de tir identiques à ceux du lanceur soyouz 2.1a ou b. De cette manière les pas de tir Soyouz sont utilisables!

Reste à faire les adaptations pour placer le moteur RD-180. Cela paraît possible puisque le diamètre du premier étage de la Soyouz 2.1v est de 2 m 90 alors que le moteur RD-180 a un gabarit de 3 m 20 (diamètre)... Actuellement le moteur (bien moins puissant puisque c'est un lanceur de la catégorie "léger") est le NK-33 issu de la fusée lunaire soviétique dont la poussée est d'environ 150 T et le diamètre de seulement 2 m. Mais ce moteur ne possède pas de système d'orientation ce qui oblige à entourer ce moteur de moteurs additionnels. Avec le RD-180 pas de moteurs additionnels puisqu'il possède un système orientation par vérins. L'adaptation semble donc tout-à-fait envisageable...

A suivre au cours des années qui viennent.

Source: TASS et crédit photographique: Energomash

Ci-dessous la comparaison de l'architecture des lanceurs Soyouz 2.1v et Soyouz 2.1a/b:

Soyouz 2.1v ©RKTs Progress.
Soyouz 2.1a/b ©RKTs Progress.