Technologie additive pour les nouvelles versions des moteurs-fusée russes: quand 220 font 1

Le moteur 14D23 (RD-0124)

On parle beaucoup de la fabrication par impression 3D, mais de quoi s'agit-il?

Dans le domaine de la fabrication des pièces mécaniques, l'industrie mondiale a longtemps compté uniquement sur la méthode dite de "retrait de matière". Le principe est simple: à partir d'un bloc de métal coulé dans un moule (ou bien encore laminé ou extrudé) les machines outils sont chargées de percer des trous, découper des morceaux, surfacer des à-plats. Elles ne font que retirer de la matière, initialement présente, à la pièce de départ. Avec l'arrivée de l'ordinateur (nommées machines numériques dans le monde de la mécanique) ces travaux ont gagné en précision et automaticité. Et pourtant, ordinateur ou pas cette technique de fabrication présente un inconvénient indépassable: l'accès à la matière à retirer. Si la pièce présente une forme complexe, il sera impossible d'aller "dans les coins" et la seule solution est alors de décomposer la pièce globale en multiples sous-parties ménageant donc un accès aux outils de découpe, quitte ensuite à relier les sous-parties entre-elles par assemblage (vis/boulon ou vis/pas de vis) ou soudage.

La méthode additive prend le problème à l'envers: la matière est ajoutée (sous forme de poudre) et durcie (par un laser de puissance) selon la forme voulue, et cela par couches successives. De cette manière une pièce même complexe peut être fabriquée couche par couche. Il y a là matière à grande simplification des process de fabrication même si on ne fait pas un moteur-fusée en une seule pièce!

Dans la pratique, l'ingénieur conçoit sa pièce à l'aide d'un logiciel 3D puis soumet son objet à un logiciel "slicer" ("qui fait des tranches") qui va transformer le modèle 3D en une suite de couches sous forme compréhensible par la machine additive. Ce processus est celui qui est utilisé dans nos "imprimantes 3D" de bureau dans lesquelles un fil de matière plastique est fondu, déposé par couches, et se refroidit pour former l'objet voulu. Dans l'industrie c'est le métal, qui apporté en poudre, sera solidifié par frittage ou fusion à l'aide d'un laser.

Voici donc qu'Energomash, qui chapeaute les principales entreprises de fabrication des moteurs-fusée russes, va se mettre à cette technologie. Ne rêvons pas, tous les éléments d'un moteur ne sont pas créés par cette technique. Pourtant elle sera introduite pour les moteurs des fusées Angara, Soyouz-2 et Soyouz-5 soit toutes les fusées utilisées (ou qui vont l'être dans un avenir proche) par le spatial russe. Energomash estime à 20% la réduction de la complexité de la production.

L'introduction de cette technologie, après des tests et maîtrise du process, est déjà effective (approuvée par le Comité Scientifique et Technique de l'entreprise) pour le moteur 14D23 (RD-0124) du second étage de la fusée Soyouz 2.1b. Pourquoi celui-ci? Tout simplement parce qu'il sera également le moteur (modifié) du second étage de la future Soyouz 5 (RD-0124MV) et que les russes comptent produire un lanceur économique capable d'être concurrentiel au niveau mondial. Deux parties de ce moteur sont concernées: la chambre de combustion avec le système d'injection des ergols, et les tuyères.

Les experts du KBKhA (Voronej) donnent l'exemple de la pièce d'injection où se fait le mélange du fuel et de l'oxydant: cette partie comprend initialement 220 éléments et 186 soudures. Par la méthode additive, il n'y a qu'une pièce qui est produite (addition des couches) en 77 heures.

Selon le plan de développement,  cette implantation concernera:

  • les têtes d'injections
  • le développement d'un système de "supercharging" pour le moteur RD-191 (lanceur Angara)
  • les tuyères de ce même moteur
  • Le re-conception du système pneumatique toujours pour ce moteur
  • l'optimisation du dessin spatial des moteurs RD-191 (Angara) et RD-0171MV (Soyouz-5)

On le voit les travaux vont porter certes sur la nouvelle version du moteur pour la Soyouz-5 mais beaucoup sur celui de l'Angara. Cela est logique, la conception de l'Angara est assez ancienne (pensée dans les années 90) et son modèle économique n'est pas satisfaisant, il faut donc rectifier le tir (!).

Source et crédit photographique: Roscosmos