Retour sur le futur lanceur Soyouz-5

Comme on a pu le noter dans un article précédent, la décision de développer une nouvelle fusée de classe moyenne (Soyouz-5), base d'un lanceur super lourd, a pu surprendre par sa soudaineté.

Comme a leur habitude les russes, en matière spatiale (ou militaire), ont des moyens bien en-dessous des USA ou de la Chine. Ils ne peuvent rivaliser qu'à condition de faire les bons choix, et encore d'une manière particulièrement peu dispendieuse. Aussi sont-ils toujours prudents et attendent souvent de voir les grandes tendances s'affirmer.

Clairement, les succès obtenus par SpaceX, les projets de la NASA avec le SLS et le Deep space gateway, les ont convaincus qu'il était temps de bouger.

Côté fusée super lourde ils vont avancer lentement car les objectifs ne sont pas encore bien clarifiés: un lanceur super-lourd mais pour quoi faire? La décision est donc prise de concevoir ce lanceur à partir d'une base qui sera le nouveau lanceur de classe moyenne, la Soyouz-5.

Vue d'artiste du lanceur Soyouz-5. Crédit: www.russianspaceweb.com

Côté économie, il s'agit dans un premier temps, de réutiliser le pas de lancement Zenit à Baïkonour. Seules de minimes adaptations seront nécessaires. Et ce d'autant plus que le pas de lancement est désormais transféré au Kazakhstan, qui participera au financement de l'adaptation du pas de tir. Pour réutiliser ce pas de tir et les connexions afférentes (fluides, fuel, données) il faudra concevoir le premier étage de la Soyouz-5 de façon spéciale: puisqu'elle sera plus puissante que la Zenit, son diamètre sera supérieur (4,1 m). Il faudra alors que le bas du réservoir principal s'amenuise progressivement pour atteindre 3,9 m. Quant à la baie de propulsion accommodant le moteur RD-171MV il devra mesurer 3,68 m de diamètre. Resteront à modifier le transporteur-érecteur, diamètre augmenté oblige, ainsi que le mât ombilical.

I. Raduguine, le responsable à Energia du développement du lanceur.

Notons que le système de lancement de la Zenit était très moderne et faisait dans le tout automatique: pas d'intervention ou peu sur la fusée une fois érigée à la verticale (pas de tour de service! Mais il en faudra une pour des vols habités).

La solution retenue rendra ce lanceur utilisable aussi sur la plateforme Sealaunch, nonobstant les mêmes modifications.

Deux questions restent, semble-t-il, en suspens:

  1. La propulsion du second étage. Le principe est retenu du moteur RD-0124M... mais en double exemplaires puisque la charge, comparée à celle de la Soyouz-2 où il est utilisé, sera presque deux fois plus importante (17 T). Or peut-on placer 2 RD-0124 côte-à-côte ? Cela semble improbable dans leur disposition actuelle. Probablement faudra-t-il alors revoir la disposition des tuyères, voire un peu plus. Est-ce faisable dans les délais impartis (d'ici 2021). De cette question, rien n'a semble-t-il à ce jour filtré. Mise-à-jour du 23 février: l'ami Nicolas Pillet m'indique (Source Nosvosti Kosmonavtiki) que le moteur R-0124M comportera une turbopompe qui alimentera seulement deux chambres de combustion, ainsi avec deux RD-0124M côte à côte on se retrouvera dans une disposition spatiale à quatre chambres (comme la formule initiale) mais avec deux turbopompes.
  2. Bien qu'ils soient peu chauds à rendre le premier étage de la soyouz-5 réutilisable, les russes ne veulent pas rester à la traîne des réalisations de SpaceX. Energia a donc décidé de faire des études parallèles pour voir quel serait le coût en matière de perte de charge utile, d'un retour de l'étage "à la SpaceX" (le poids du carburant). Ils doivent, pour faire le bilan financier qu'ils jugent à priori négatif, prendre en compte les frais de remise en état de l'étage pour un nouveau vol. Cette question est d'autant plus un dilemme pour les russes que le moteur RD-171 est déjà prévu pour être réutilisé... alors même qu’ils pensent le simplifier, pour raison d'économie, en supprimant justement ce qui le rend réutilisable. D'où évidemment l'intérêt de faire une étude précise et pertinente. Enfin ils considèrent également, en matière de récupération du premier étage, la solution des parachutes, qui est bien plus efficace mais plus complexe à mettre en oeuvre. Cette solution avait d'ailleurs été envisagée (les photos le prouvent) pour les étages latéraux de la super fusée Energia qui lançait la navette Bourane à la fin des années 80. Ces étages latéraux n'étaient jamais que le premier étage de la fusée Zenit...

Deux personnes clés du projet sont I Raduguine d'Energia et A Cherevan du RKTs Progress.

Sources et crédits d'illustration: Russianspaceweb.com, Energia, Novosti Kosmonavtiki №02 · (421) · 2018 · Том 28 p48 (I Afanassiev), et Kosmonavtika