Point de vue: et si Baïkonour fermait…

L’activité spatiale russe est à un tournant.

Ce n’est pas seulement l’opération militaire en Ukraine qui provoque les interrogations dans les milieux spatiaux et politiques russes même si celle-ci a accéléré la mise en évidence des problèmes qui se posent.

On sait que les USA ont réussi à tuer en grande partie le marché des lancements spatiaux avec d’une part un soutien d’Etat à peine masqué à SpaceX et d’autre part l’interdiction de lancer des satellites comprenant des composants américains depuis le sol russe ou sur des lanceurs russes.

Cette interdiction doit entrer en vigueur au premier janvier 2023 mais la décision a été prise bien avant l’escalade militaire en Ukraine.

Cette quasi mort du marché des lancements touche aussi par ricochet l’Europe avec Arianespace qui dans l’inflation des sanctions et contre-sanctions a perdu le lanceur Soyouz à Kourou.

Heureusement, si l’on peut dire, la folie des constellations de centaines ou de milliers de satellites, aberration pour l’environnement spatial et terrestre, sauvera probablement quelques acteurs occidentaux.

Côté russe les plans spatiaux ont dû changer : puisque le marché des lancements commerciaux leur est désormais interdit, l’adaptation du pas de tir, à Baïkonour, pour le nouveau lanceur Soyouz-5 devient peu intéressant.

Le lanceur lui-même, initialement conçu pour permettre des lancements à un coût compétitif et défier SpaceX, demeure intéressant pour les propres besoins de la Russie mais cette dernière préfèrerait certainement posséder un pas de tir pour ce futur lanceur sur son propre territoire, c’est-à-dire au cosmodrome Vostochny.

On peut donc s’interroger : le projet Baiterek, d’adapter l’ancien pas de lancement Zenit pour Soyouz-5, va-t-il une fois de plus capoter ?

Et ce d’autant que les problèmes géopolitiques poussent les Russes à ne compter que sur eux-mêmes.

Même si les soulèvements sociaux qui ont eu lieu au Kazakhstan il y a quelques mois n’ont pas interféré avec l’activité spatiale à Baïkonour, le Kazakhstan peut-il être aujourd’hui considéré comme un allié sûr pour la Russie ?

Un autre aspect s’ajoute au questionnement : la plateforme Sea Launch. Pour l’instant propriété de la société aérienne S7, mais qui va peut-être passer chez Roscosmos, elle pourrait avantageusement être adaptée à Soyouz-5 au lieu du pas de tir Zenit de Baïkonour pour profiter ainsi du bénéfice des lancements depuis l’équateur…

Soyouz-5 aura probablement un rôle à jouer plus tard dans la seconde phase du développement de la future station spatiale russe ROSS. Mais dans un premier temps les Russes aimeraient utiliser pour cette station le vaisseau lunaire Orël dans une version drastiquement amaigrie (le PTKS-M) capable d’être lancé sur la version la plus puissante de…Soyouz 2 (soit donc la version 2.1b) car Soyouz-5 est un lanceur encore trop cher et puissant pour de simples liaisons vers ROSS, sans parler de l’Angara-5 bien plus chère.

En conséquence de quoi on peut même s’interroger sur la pertinence de conserver Baïkonour actif au-delà de la durée d’activité de l’ISS. Si la cosmonautique habitée russe passe à Vostochny, et si le projet Baïterek est abandonné, il n’y aura plus aucune justification à l’existence du cosmodrome de Baïkonour.

Les Kazakhstanais ne s'y sont pas trompés : quelques jours après le début de l’annonce des sanctions antirusses à grande échelle, et prenant conscience de la fermeture du marché des lancements, ils ont exprimé leur inquiétudes en réclamant des mesures de compensation financière, sans plus de précision.

Va-t-on vivre, dans les prochaines années, la mort du si célèbre et historique cosmodrome de Baïkonour ? L’attitude de Roscosmos vis-à-vis de Baiterek devrait nous éclairer très prochainement, c’est-à-dire dans les prochaines semaines.  Jusqu’à présent la société d’Etat n’a pas communiqué sur le sujet.

Kosmosnews.fr

Le soleil se lève ou se couche sur Baïkonour ? Image d'archives.

Le soleil se lève ou se couche sur Baïkonour ? Image d'archives ©Roscosmos.