Quelles étapes vers un lanceur super-lourd russe?

Les étapes possibles vers le lanceur super-lourd résumées graphiquement par Anatoly Zak www.russianspaceweb.com.

Les nombreuses réunions tenues par Roscosmos et l'Académie Russe des Sciences pour définir une stratégie spatiale à long terme, ainsi que les différentes rumeurs, déclarations, actions de lobbying conduisent à la fois à éclairer un peu la possible stratégie russe et dans le même temps à diffuser beaucoup de confusion et d'incertitudes. Ajoutées à cela les difficultés des financements et la situation apparaît encore plus brumeuse.

Anatoly Zak, dans la partie "insider content" de son site www.russianspaceweb.com essaie de faire le point et donner un peu de cohérence aux projets. On consultera son site avec bonheur (à condition d'être abonné). Le schéma, accessible gratuitement depuis la page d'accueil, permet de se faire une idée de ce que pourrait être le développement des lanceurs russes dans les 10 prochaines années.

Tout d'abord rappelons que le budget spatial russe est 10 à 20 fois moins important que celui de la NASA. Ceci est toujours à prendre en compte quand il s'agit de comparer la puissance américaine à celle de la Russie. Sans risque de se tromper, on peut affirmer que ce budget est à peine celui de l'Europe entière.

Sur le schéma ci-dessus, il faut d'abord distinguer ce qui relève d'un projet adopté et financé de ce qui relève de projets envisagés mais qui n'ont reçu ni l'aval du gouvernement russe, ni même parfois de la communauté de l'industrie spatiale russe.

Dans la première catégorie il y a le lanceur Soyouz-5/Irtysh, capable de lancer 17 T en orbite terrestre basse et donc le futur nouveau vaisseau piloté russe PTK/Federatsiya. Ce lanceur, en coopération avec le Kazakhstan, décollera depuis le pas de lancement Zenit de Baïkonour modifié pour ce nouveau lanceur entièrement russe. Il sera propulsé par le moteur RD-171MV. Son premier lancement devrait intervenir en 2022. Toujours dans la catégorie des projets programmés et financés, mais cette fois-ci à plus long-terme, la version lourde "lourde" (!) du lanceur Angara, l'Angara A5V. La nouveauté cette fois-ci résidera dans l'étage supérieur qui sera de forte puissance et reposera sur la technologie "oxygène liquide/hydrogène liquide. L'échéance est cette fois-ci en 2026-2027. Le premier étage de ce lanceur repose sur 5 moteurs RD-190. Les trois défis auxquels fait face cette version du lanceur sont les suivants: la nécessité de créer un pas de lancement au cosmodrome vostochny (construction qui débute cette année), la mise en production sérielle du lanceur Angara A5 classique, et pour finir, le développement de l'étage cryotechnique.

Dans la seconde catégorie on trouve d'abord le lanceur Soyouz-7/Volga. Pour en expliquer l'essence il faut d'abord évoquer l'étape suivante qui est le lanceur super lourd STK/Yenisseï, dans sa première phase. Ce lanceur, dont la configuration générale est arrêtée, reposera sur un corps central animé par un moteur RD-180 et 6 boosters périphériques dotés chacun d'un moteur RD-171MV. Ces boosters ne seront donc que le premier étage du lanceur soyouz-5/Irtysh. Ils n'auront donc pas à être développés spécifiquement. Le corps central lui sera aussi très proche des boosters mais équipé du moteur RD-180. Associés à l'étage cryotechnique de l'Angara A5V et à un étage d'injection de type DM-03, ce lanceur sera capable de mettre 27 T en orbite basse lunaire. Si maintenant on prend l'étage centrale de ce super lanceur, qu'on en réduit la longueur, on est capable de produire le premier étage du lanceur Soyouz-7/Volga, capable de mettre 9 T en orbite basse terrestre et de...remplacer l'actuelle série des lanceurs Soyouz 2.1a et b.

On le voit, la stratégie russe, si elle se confirme dans les faits, vise à réduire les coûts de développement en produisant des éléments communs à plusieurs lanceurs de différentes puissances.

Mais pourquoi donc viser à remplacer le lanceur soyouz-2, si fiable? Tout fiable qu'il soit, tout vénérable qu'il soit, tout élégant qu'il soit, ce lanceur reste tout de même compliqué à construire en raison des nombreux changements de diamètre de ses différents éléments (des cônes essentiellement), donc pas si économique que ça. Rassurez-vous (si comme moi vous l'adorez) il n'est pas près de disparaître: ne serait-ce qu'en raison du nombre de ses pas de lancements disponibles en différents endroits de la Russie (à Baïkonour, à Plesetsk, à Vostochny) et dans le monde (à Kourou).

Le lanceur super-lourd Yenisseï a tout de même des obstacles devant lui: la construction d'un pas de lancement à Vostochny, et tout simplement son...financement.

Dernière évolution possible, le lanceur super-lourd STK/Don qui verrait, tout en gardant l'essentiel de la structure de l'Yenisseï, ses étages allongés, permettant ainsi de porter sa capacité en orbite basse lunaire à 32 T.

Les dates éventuelles de mise-en-service ne sont pas vraiment arrêtées. On parle de 2028 pour Yenisseï, mais même si Vladimir Poutine en a entériné le principe, cela paraît bien proche. En réalité tout dépendra probablement de la concurrence américaine en terme de renommée: la Russie peut-elle accepter de jouer les seconds rôles, voire les troisièmes ou quatrièmes, dans l'espace?

Sources et illustration graphique: Anatoly Zak, www.russianspaceweb.com