Roscosmos 2.0: le programme spatial russe

Une réunion de travail a été tenue le 18 juillet entre le président russe Vladimir Poutine et la nouvelle configuration de la direction de Roscosmos.

Pour nous l'intérêt de cette réunion réside dans le fait que Vladimir Poutine a prononcé un petit discours introductif qui résume très bien les projets russes en matière spatiale, avec, qui plus est, des dates! Bien sûr les dates limites sont faites pour être dépassées avec leur tendance à glisser vers la droite. Pourtant on sait que lorsque Dmitry Rogozine avait supervisé la première phase de construction du Cosmodrome Vostochny, une fois définie la date butoire, celle-ci avait été presque tenue pour le premier lancement, à quelques mois près. On peut donc s'attendre à un calendrier raisonnablement bien suivi.

Enumérons les projets russes pour la prochaine décennie:

  • le développement du lanceur super lourd avec les premiers lancements en 2028
  • le développement du lanceur Soyouz 5 (élément du futur lanceur super lourd) avec ses premiers tests en vol en 2022
  • le développement de la version lourde de l'Angara (Angara A5)
  • le déploiement de la seconde phase de construction du cosmodrome Vostochny avec le pas de lancement Angara et le premier lancement en 2021
  • le développement d'une nouvelle constellation de satellites intégrés, Spère (plus de 600 satellites) en trois phases: 2022, 2024 et 2028.

On peut faire quelques commentaires sur ces projets, commentaires facilités par une interview de Dmitry Rogozine donnée après cette réunion.

Tout d'abord l'accent est mis sur l'utilisation de l'espace au service de l'économie: entre dans ce cadre l'adoption du projet "Sphère" dont nous avions déjà parlé il y a quelques temps. Outre l'intérêt du programme lui-même comme système intégré de satellites non spécialisés, il va permettre de révolutionner la façon de construire des satellites en Russie en passant à la fabrication de satellites en série. Au lieu de concevoir de petites constellations chacune spécialisée dans un domaine (GPS, observation de la Terre, communication...) une seule constellation intégrera toutes les fonctions! Ce sera de ce point de vue une révolution dans le spatial russe (et aussi au niveau mondial). A côté de cet aspect industriel, ce projet va permettre au lanceur Angara de trouver un débouché stable et régulier, assurant ainsi le fonctionnement à plein régime des nouvelles installations de production d'Omsk. Khrunitchev devrait ainsi pouvoir sortir du cycle d'endettement et de pertes qui met en danger sa survie.

Pour faire face à la montée en puissance du lanceur Angara, le plus urgent sera la construction de son pas de lancement au cosmodrome vostochny. Les délais sont courts puisque sa mise en service est fixée à 2021: 3 années! C'est à peu près ce qu'il avait fallu pour le pas de lancement soyouz, une fois la construction réellement débutée.

Pour des aspects de défense nationale, le développement de la version lourde de l'Angara (Angara A5), donc de sa version avec un étage cryotechnique, est considérée également comme importante, susceptible, par ailleurs de lancer ensuite le vaisseau piloté Federatsiya une fois son développement terminé sur le lanceur Soyouz 5 depuis Baïkonour.

Le président Poutine endosse également le projet de fusée super lourde, en le plaçant comme la priorité des priorités même si les délais sont ici fixés ici à 10 ans (2028), ce qui est très court si on considère qu'il faudra créer au cosmodrome vostochny un pas spécial de lancement pour ce lanceur Soyouz 5/Super lourde. Ainsi à l'horizon 2030, vostochny devrait disposer des moyens de lancement pour l'ensemble de sa gamme de lanceurs modernes.

D'ici là, le lanceur Soyouz 5, première pierre de l'édifice d'un lanceur super lourd, devra être prêt et, à Baïkonour, le pas de lancement Zenit transformé (2022) pour accueillir les essais de ce nouveau lanceur.

Ce programme, à 10 ans, est présenté comme la version 2.0 de Roscosmos. Il y a très nettement la volonté d'accélérer les projets, les russes sentant qu'ils risquent de se voir distancer par les américains, dans un domaine où, période faste ou crise économique, ils ont toujours voulu garder le contact.

Après la période Igor Komarov (ancien directeur générale de Roscosmos), qui a entamé la refonte de l'industrie spatiale russe, la volonté des dirigeants russes est de faire fructifier ces réformes. Ils ont souhaité changer l'équipe dirigeante, jugée particulièrement (trop?) "économiste" par une équipe encrée dans le milieu de l'industrie spatiale.

Sources et crédits photographiques: Roscosmos et Roscosmos

Dmitry Rogozine, DG de Roscosmos, lors de la séance de travail avec Vladimir Poutine.